J’ai le grand plaisir de vous présenter une série d’articles sur un sujet bien réel même s’il est impossible de le toucher du doigt : notre cadre de travail en massage. Ce cadre de pratique à nous, thérapeutes manuels et éducateurs somatiques. Quels sont ses repères et ses écueils? De quoi est-il fait? Comment le respecter? Il s’agit, en bref, de notre rapport à l’argent, de l’organisation de notre horaire, de troc avec des clients, de sessions avec des membres de notre famille, de l’autodévoilement du thérapeute auprès de son client et de la dépendance de certains clients envers notre service. J’aimerais autant aborder les bienfaits d’y installer de balises claires que brosser un tableau des répercussions néfastes des zones grises dans notre pratique, pour nous comme pour nos clients.
Mes motivations à écrire
Plusieurs expériences personnelles en massage, comme thérapeute et/ou comme cliente, me motivent à écrire sur ce sujet. Par exemple, au début de ma pratique, en 1991, je faisais du troc avec ma sœur cuisinière : du massage contre de la nourriture faite maison. Au début, un massage équivalait à cinq repas complets congelés. Avec le temps, j’ai augmenté mon tarif. Sur quelles bases évaluer cette augmentation? sur mes nouvelles formations? sur mon expérience accrue? Faut-il se baser sur le prix des repas sur le marché ou sur le temps nécessaire pour leur production pour établir le taux de l’échange? Les choses se compliquaient. Il semble que le troc, une relation duale, soit une pratique courante. Les bénéfices et les difficultés des échanges de services sont le lot de plusieurs. Puisqu’il n’existe pas, à ma connaissance, tellement d’articles en français s’y référant, j’aimerais partager avec vous mes réflexions sur le sujet des relations duales et des échanges de services.
C’est en tant que cliente d’un autre thérapeute manuel que j’ai pu apprécier le respect du cadre de travail. La session ayant débuté et fini avec du retard, mon parcomètre a explosé et j’ai récolté une contravention. Cette expérience a coloré négativement ma relation avec ce praticien. Je suis devenue préoccupée par le respect du temps. Les résultats du traitement étaient les mêmes, mais cette tracasserie en tête, j’ai moins profité des sensations subtiles des manœuvres. Comme cliente, j’aurais apprécié le maintien de l’entente (non dite mais réelle) : on termine à 10h30, tel que prévu.
Enfin, grâce au livre de Nina McIntosh « The Educated Heart* », j’ai immensément apprécié les bénéfices d’un cadre de pratique réfléchi, pour nous massothérapeutes, thérapeutes manuels et éducateurs somatiques ainsi que pour nos clients. Je vous recommande chaudement ce livre, écrit dans un anglais accessible et d’une clarté merveilleuse! J’y ai trouvé un écho très familier de mes préoccupations professionnelles en ce qui concerne une pratique sensible et raisonnée de la massothérapie. Par ces articles, j’espère vous offrir le même accompagnement en exposant ces préoccupations et en suscitant votre réflexion. Je vous propose de renouveler ou encore de créer votre cadre de pratique sur mesure.
Sur mesure?
Il n’y aurait donc pas de cadre déjà établi? Évidemment, la Fédération québécoise des massothérapeutes a élaboré des règles de déontologie. Ces règles sont bien établies et constituent la base de notre pratique. J’y ferai souvent référence, sans chercher à les illustrer. Ces articles ne font pas office de « police » de surveillance de votre manière de travailler, au contraire! Je ne chercherai pas à instaurer de cadre à suivre sous peine de procès! J’ai plutôt à cœur de vous aider à visiter ou revisiter certains éléments de votre pratique et à faire des ajustements, si nécessaire. Le but n’est pas non plus d’uniformiser nos manières de travailler : la diversité de nos pratiques correspond à notre créativité d’aidants. Certaines balises étant posées, vous serez plus à même de créer un fonctionnement en massage qui vous corresponde, qui évolue bien, qui vous rende heureux, vous et vos clients aussi!
Mes suggestions d’articles
Les articles gravitent autour du thème de la définition de certaines frontières de notre pratique. En massothérapie, nous connaissons l’usage du concept de frontières. Selon le dictionnaire, il s’agit de « limites d’un territoire qui en déterminent l’étendue ». De plus, nous savons que les frontières nous relient : c’est aux frontières que deux pays ou deux individus se rencontrent. Le principe s’applique en massothérapie : les frontières nous permettent d’établir un marché, une entente sur la place et le rôle de chacun dans ce marché.
Le premier article portera sur certains aspects financiers de la pratique. Pour plusieurs d’entre nous, la transition entre « ouvrir les mains » pour donner un massage et tendre la même main pour être payé pour ce service n’est vraiment pas évidente! Les débutants trouvent souvent difficile d’être payés s’ils ont l’impression de faire leur apprentissage sur le dos de leurs clients! Pour d’autres, l’augmentation du tarif donne parfois des maux de tête. Du néophyte au praticien senior, tous songent ou disposent d’une politique d’annulation des séances de massage. Comment se faire payer tout en étant complètement d’accord avec soi et avec les autres? Comment devenir à l’aise avec l’argent?
Le deuxième article portera quelques aspects du temps : cette fameuse heure de massage. Cette « heure »compte parfois 50 minutes, parfois 75 minutes… Certains clients arrivent en retard. D’autres, endormis sur la table la session terminée, dépassent le temps alloué et notre prochain client est déjà en attente. Nous ne voulons pas compter les minutes mais… notre horaire peut être chargé! Et il nous arrive aussi de commencer plus tard que prévu… Quelle est notre éthique du temps et comment remédier à ces petites bavures qui entachent cette heure pas ordinaire du massage, si vite passée?
Les quatre derniers articles porteront sur les zones grises dans les rôles de chacun dans la salle de massage. Dans celui-ci, j’aborderai le thème des relations duales : quand le massothérapeute et son client portent tour à tour deux chapeaux. Le troc, il ne faut pas se le cacher, semble courant dans notre métier. Cependant, le troc, ce truc sans échange de fric, pourrait-il avoir un prix caché? Il semble si simple, si pratique et si abordable! Mais l’est-il vraiment? J’aborderai aussi le développement d’une amitié avec certains clients. Comment le rapport d’intimité asymétrique de la relation thérapeutique peut-il se transformer, hors du bureau, en amitié où les échanges sont plus égaux, plus partagés? Alterner de manière saine d’une relation de client à une relation d’ami n’est vraiment pas facile. Compliqué, même! Puisqu’ils sont là pour rester, j’explorerai les pièges et les astuces de l’amitié et des échanges de service avec nos clients.
Le quatrième article se penche sur l’incontournable transfert en massothérapie. Le transfert : tout le monde le fait, (presque) personne ne le sait! Il ne s’agit pas de savoir si le transfert, et le contre-transfert, opéreront dans la relation; il s’agit de savoir quand et comment. Le transfert est quasi inévitable. Nos clients nous accordent automatiquement plus de pouvoir que si nous les avions rencontrés dans un autre contexte, dans la rue ou chez des amis par exemple. Ainsi cette relation place sur nos épaules davantage d’autorité et de responsabilités concomitantes. Comment négocier avec l’incontournable transfert? De plus, j’aborderai les relations duales avec des membres de notre famille. Fréquemment heureux cobayes volontaires de nos débuts en massage, nos parents apprécient beaucoup nos mains magiques! Il n’est cependant pas toujours évident pour nous de maintenir les balises de notre cadre de travail avec nos proches. Je tenterai de mettre un maximum de « cartes sur table » relativement aux diverses implications de la massothérapie avec les membres de notre famille.
Dans le cinquième article, j’explorerai le thème de l’autodévoilement du thérapeute, une expérience vécue par plusieurs d’entre nous. L’autodévoilement, c’est l’expérience personnelle divulguée par le massothérapeute à son client. Qu’est-ce que les massothérapeutes dévoilent d’éléments de leur personne ou de leurs expériences? Dans quels buts? Parce qu’il joue sur les frontières entre le privé et le public de notre cadre de travail, quels sont les impacts possibles du dévoilement du thérapeute dans sa relation avec son client? Je soulèverai des questions sur les méprises et les bons coups de l’authenticité et de la transparence du thérapeute en massothérapie.
Le sixième et dernier article portera sur la « dépendance » de nos clients envers nous ou envers notre service, et d’une valeur chère à une majorité d’entre nous, que dis-je, au continent américain au grand complet: l’indépendance! Nos clients se présentent à nous avec de la douleur physique et parfois même de la souffrance morale et émotionnelle. Le seul fait de leur présence dans notre bureau est un indicateur de leur vulnérabilité : ils ont mal et ils demandent notre aide. Leur réhabilitation et leur espoir d’aller mieux dépendent de notre service, pour un laps de temps indéterminé. Ils ont besoin de s’appuyer temporairement sur nous pour se sentir mieux. Comment vivons-nous la dépendance de notre client envers notre service? Sommes-nous tiraillés entre notre désir de supporter notre client dans son besoin d’aide et celui de l’encourager à être davantage indépendant, plus proactif dans les gestes à poser pour sa santé? Comment gérons-nous cet équilibre délicat, où supporter notre client ne veut pas dire le porter? entre les traitements à prodiguer et la stimulation à prendre soin de soi pour nos clients? Entre dépendance saine et indépendance, notre cœur balance!
J’aimerais beaucoup recevoir votre contribution pour enrichir ces articles! Vous avez vécu des difficultés avec le respect de votre cadre de pratique. Que ce soit autour du respect de l’horaire, du prix du massage, de clients envahissants ou de relation thérapeutique pas claire avec un membre de notre famille, nous partageons des situations semblables et différentes dans leur déroulement. Aidez-moi à mettre de la chair autour de l’os de ces articles en me racontant votre expérience, vos difficultés et vos bons coups relatifs aux thèmes qui précèdent. Nous en bénéficierons tous, et, comme en massage, la confidentialité est assurée! Pour me rejoindre, envoyez-moi un courriel et cliquez sur la page Contact de mon site
Les aspects abordés dans le prochain article
Avez-vous le sentiment d’exiger un montant approprié pour une session? Comment présentez-vous une augmentation du prix? Sur quoi basez-vous le montant que vous demandez?
Êtes-vous ouvert à une échelle de prix selon les revenus du client? Comment l’établissez-vous? Établissez-vous un nouveau tarif si les revenus du client augmentent ou diminuent?
Comment vous sentez-vous si quelqu’un ne peut s’offrir votre service? Une telle situation s’est-elle déjà présentée? Êtes-vous prêt à répondre au besoin du client en baissant votre prix? Quelles seraient vos motivations pour le faire?
L’offre d’un rabais ou d’arrangements spéciaux a-t-elle eu un impact sur la qualité de la relation avec votre client? sur la qualité du massage? sur votre satisfaction?
Quelle est votre politique de paiement? Chèques, comptant, cartes de crédit? Avez-vous déjà eu à faire des arrangements ou des plans de paiement?
Un client s’est présenté sans argent ou chèque, qu’avez-vous fait?
Si vous allez au domicile du client, votre temps et vos frais de déplacement sont-ils inclus dans votre prix?
Avez-vous une politique d’annulation? Quelle est-elle? En parlez-vous à tous vos clients? Quand en parlez-vous? Faites-vous une entente écrite ou verbale avec votre client? Que dites-vous?
* McIntosh, Nina (2005). The Educated Heart: Professional Boundaries for Massage Therapists, Bodyworkers, and Movement Teachers, Lippincott Williams & Wilkins, 2nd edition, 181 pages.