En route vers Compostelle!
par Esther Larose
Même si la tradition est très ancienne, le Chemin vers St-Jacques de Compostelle est encore, de nos jours, extraordinairement fréquenté! Pèlerinage ou randonnée, la démarche entreprise diffère selon les aspirations des uns et des autres. On part avec nos questions et notre bagage personnels. Dans ce bagage, il y a une façon de vivre l’expérience propre à chacun, qui se dessine au fil de la marche.
En route, je discutais avec d’autres marcheurs et j’ai constaté que nous ne nous intéressions pas tous aux mêmes aspects du Chemin : architecture, Histoire, rituels religieux ou nombre de kilomètres parcourus, les intérêts variaient clairement d’une personne à l’autre. Dans cet article, je vous raconte ce que j’ai observé, ce qui m’a remuée et ce qui préservé mes pieds (et tout le reste de mon corps). Suite à cette mosaïque d’observations tirées de mon vécu, je vous fais part de ce qui, dans mes années de pratique en massage, aurait pu influencer mon expérience personnelle et intime du Chemin. L’article témoigne d’un voyage à travers le prisme de la pratique de la massothérapie.
Une masso sur le Camino
Le Chemin de Compostelle en Espagne, c’est la rencontre idéale de la nature et de la culture. Huit cents kilomètres de marche en nature jalonnés de beautés architecturales anciennes, de la grande et des petites Histoires. Pour moi, c’est d’abord l’expérience de la marche qui bouleverse ma routine : marcher de 15 à 20 kilomètres par jour, pendant 40 jours! La marche agit comme une Grande Essoreuse : dehors les toxines! Hydratation oblige, il faut boire pas moins de 3 litres d’eau par jour. La marche et l’hydratation soutenues me font passer par un véritable cycle de rinçage corporel. Ce « flushing » intégral du corps par l’exercice au grand air me met dans un délicieux état de conscience, très différent de celui de tous les jours. Peut-on devenir « addict » à l’état d’esprit induit par l’exercice physique?
Léger sac au dos (6 kilos) et sandales aux pieds, contrairement à plusieurs autres marcheurs, je ne suis pas toujours à la lettre les suggestions de kilométrage du Guide du pèlerin. Trop de kilomètres, ce n’est pas bon pour mes pieds. Et puis, avec ces suggestions, impossible de programmer ma petite sieste dans l’organisation de ma journée. Je préfère suivre les signes de fatigue, ou de bien-être, de mon corps. À l’écoute de ces intuitions, à l’entrée des petits villages, je suis dirigée vers la fontaine de la place publique. Quand c’est possible, je trempe mes pieds dans l’eau fraîche de la fontaine. Mes pieds respirent d’aise : eux aussi aiment l’eau et le grand air!
Dans l’Espagne catholique, chaque ville ou village a son église toute décorée de dorures et d’art religieux. Pour la marcheuse, une église, c’est l’occasion de s’asseoir tranquille à la fraîcheur et de contempler les statues des saints (et de peu de saintes… à part Marie, qui n’est pas une sainte). J’observe. J’analyse… La posture de certains saints est vraiment rigide! Leur dos doit bien souffrir! Et cette Vierge Marie assise toute droite, comme elle a l’air altière! Vu de profil, San Matteo a vraiment une posture alignée! Certaines statues anciennes ont des membres absents. J’imagine alors le geste manquant : ce bras soutenait-il une croix, ou une sphère? Ce pied disparu écrasait-il un serpent diabolique ? Je laisse mon esprit postural divaguer à l’observation des corps des saints.
Cette contemplation n’empêche pas l’observation du corps des personnes côtoyées, en marche ou dans les refuges. Pauvres pèlerins qui souvent en font trop : trop de kilomètres et trop de kilos dans le sac à dos! J’observe les épaules fatiguées et mes mains s’animent pour les soulager. L’absence d’un resto au village et mes provisions de bouffe à sec m’offrent l’occasion de faire du troc sur le Chemin! On échange un repas contre une séance de détente des épaules, un verre de vin contre le soulagement des pieds. Le partage est fréquent sur le Camino et je suis contente de pouvoir apaiser les douleurs grâce à quelques manœuvres de massage simples mais efficaces!
La longue et lente marche au grand air rend mon corps très léger. Tant et si bien que j’ai le sentiment que ce n’est plus moi qui marche : « ça » marche à travers moi, sans participation de ma volonté! La marche libère mon esprit du dialogue intérieur incessant qui m’est si familier. Ma tête est vide, en « vacance ». Elle ne s’interpose plus entre l’environnement et moi. La marche ouvre aussi mon cœur et me rend exceptionnellement transparente, aux autres autant qu’à moi-même.
La marche m’éveille davantage à mon ressenti corporel : mes sensations sont plus claires, mes sentiments plus forts! Par exemple, en visite à Burgos, j’ai le vertige en me laissant aspirer par les très hauts vitraux de sa cathédrale gothique. En contraste, je suis apaisée par la douceur enveloppante d’une petite chapelle romane. Je me sens « groundée » par la forte présence d’un vieux chêne du mont Cebreiro. Enfin, le cœur plus ouvert, je recherche davantage la solitude, tant par pudeur que par envie de goûter en silence tout ce que je ressens.
Les influences de la pratique
Ma pratique du massage a eu une influence énorme sur la façon dont j’ai vécu le voyage vers Compostelle, et ce, à différents niveaux. Tout d’abord, la massothérapie m’a appris le respect du corps. Mes études en anatomie/physiologie ont forgé mon admiration pour cet organisme vivant, raffiné par des millénaires de spécialisation, qu’est le corps humain. J’ai appris à écouter ses signes. Mes pieds ont mal? À la suggestion des 23 kilomètres du Guide, je préfère en réduire le nombre et m’arrêter dans un refuge, imprévu ce jour-là. Mes épaules rechignent? Je poste au Québec les vêtements inutiles pour alléger la charge de mon sac. J’ai besoin d’une sieste? Mon désir de performance (arriver plus vite, se rendre plus loin!) cède le pas au besoin de sommeil. Mon corps n’a pas été un empêcheur-de-bien-performer mais un indicateur fiable de mes limites personnelles à respecter.
Vous arrive-t-il d’expérimenter un massage comme une danse avec votre client? Délaissant momentanément la technique, vous improvisez, l’intellect absent et les mains (ou les pieds, ou le corps) intelligentes, sachant d’elles-mêmes que faire? Comme un état de grâce, de contact et d’harmonie entre votre rythme et celui de votre client? Cet état d’esprit de communion, d’absence de barrière avec l’environnement, un des délices de la pratique de notre métier, je l’ai retrouvé sur la route vers Compostelle! La massothérapie m’a appris à m’abandonner avec confiance à une activité physique. Je savais qu’en lâchant prise sur la Raison, je découvrirais une intelligence différente, tout aussi logique et rationnelle, à laquelle je puisse participer.
Mon corps est un temple
Et les postures sont mes prières, dit B.K.S. Iyengar, maître de yoga. Le massage prend soin du temple du corps et j’ai longtemps considéré mes sessions comme une offrande fervente à la Vie. Par ailleurs, la longue pratique de la massothérapie a développé ma compréhension de la relaxation. La détente fait partie d’un équilibre vital et elle est fantastique! Elle peut être une destination finale pertinente. Pourtant, sans être une fin en soi, elle est devenue pour moi une voie d’accès au « spirituel, au plus grand que soi dont on fait partie ». Cette ouverture au plus grand que soi, que je tente humblement de pratiquer dans mes massages, j’ai pu souvent en goûter le bonheur dans ma marche vers Compostelle.
En massage, chaque séance m’offrait l’occasion d’entraîner mon attention à focaliser sur mes sensations corporelles. Puis, petit à petit, j’apprenais à laisser les sensations se développer en moi. J’apprenais à tolérer l’incertitude face à l’inconnue des sensations, à rester présente, à me laisser les ressentir avec confiance. Puis, j’apprenais patiemment à y mettre des mots, à donner un sens à ce que je ressentais. Quelle richesse de sensibilité je développais sans le savoir! Cette sensibilité représente dorénavant à mes yeux mon plus grand trésor : la possibilité de goûter à ce qui est là. En route vers St-Jacques, écouter en moi l’écho des choses, des gens et des paysages a été un délice renouvelé tous les jours!
Enfin, en massothérapie, on travaille souvent dans le silence, laissant nos mains communiquer nos intentions. Sur le Chemin, je me retrouvais souvent seule, parfois esseulée. L’habitude du silence a été très soutenante pour moi : le silence imposé m’était plus tolérable. Mais c’est aussi en silence que j’absorbais la beauté, que ma présence à l’expérience du voyage était la plus intense, la plus satisfaisante.
En m’inscrivant dans la tradition du pèlerinage vers Compostelle, je me suis sentie héritière du travail des pèlerins des temps anciens. J’ai fidèlement suivi leurs flèches jaunes jusqu’à destination. En route, j’ai aussi réalisé l’héritage légué par ma pratique du massage : respect du corps, entraînement à l’intériorisation et au ressenti, présence bienveillante à l’autre et à moi-même, patience et confiance, entre autres. On dit que nos clients nous éduquent. Je remercie le travail de massothérapeute de m’avoir permis de me connaître en me rendant plus humaine!
2 Comments:
Comme pour bien d’autres personnes à la recherche de quelque chose en elles, Compostelle a toujours exercé une certaine fascination sur moi. Maintenant que j’ai rompu avec l’obligation du travail et que je peux m’adonner au plaisir de voyager en toute liberté, je ferai assurément une bonne part de la route de Compostelle.
Le portrait que vous dressez de votre cheminement personnel en ces lieux est une motivation supplémentaire à laisser mes pas emprunter ce mythique chemin. Oui un peu plus de temps en soi, à échanger avec les autres et moins de km est une vision tout à fait séduisante.
Ce fut un plaisir de vous lire, vous écrivez si bien Esther, aussi je me permets de partager votre article avec les gens que j’aime, même si je sais qu’à notre époque où tout se bouscule et se précipite seulement quelques-uns le liront.
Merci pour la belle part de vous-même que vous avez partagée de manière aussi intéressante !
Jacques P.
bonjour Jacques, merci de votre message. J’espère pour vous que vous vous laisserez tenter par l’appel du Camino. Et que vous pourrez rencontrer ces aspects de vous qui n’attendent que les occasions fertiles pour se manifester!